CHAPITRE 3
Ki avait hâte de voir tomber la nuit. Elle avait l’impression d’avoir passé une vie entière à écouter Cabri lui réclamer le droit de conduire l’attelage. Ne recevant pas de réponse à ses suppliques, il avait tenté de tendre le bras pour agripper les rênes. Elle lui avait giflé la main avec un « Non ! » sévère, comme s’il s’était agi d’un bébé et non d’un jeune homme. Elle avait perçu la tension montante de Vandien et lui avait lancé un regard indiquant qu’elle allait se débrouiller seule. Mais les yeux de l’homme contenaient une lueur d’amusement. Bon sang, il s’amusait de la voir obligée de gérer Cabri. Après un long silence boudeur, celui-ci avait proclamé qu’il s’ennuyait, que ce voyage tout entier était d’un ennui mortel et qu’il aurait aimé que son père lui trouvât des compagnons pleins d’esprit pour faire le trajet, plutôt qu’une paire de balourds muets. Ki n’avait rien répondu. Vandien s’était contenté de sourire, un sourire qui glaçait l’échine de Ki. S’occuper de Cabri durant ce voyage allait s’avérer délicat, le plus délicat étant d’empêcher Vandien de s’occuper du garçon à sa manière. Elle voulait livrer sa cargaison en un seul morceau.
À présent que le soleil reposait sur le bord du large ciel bleu du sud, la chaleur diurne était devenue supportable. Non loin de là, elle distinguait un bosquet d’arbres à épines et une tache de couleur vert clair qui indiquait la présence d’eau. Elle appréhenda soudain de s’arrêter pour la nuit. Elle se prit à souhaiter pouvoir continuer d’avancer, nuit et jour, jusqu’à atteindre Villena et débarquer le garçon. Ki jeta un coup d’œil à Cabri. Il était affalé sur le siège entre elle et Vandien, sa lèvre inférieure formant une moue de dépit, ses yeux étranges fixés sur le paysage monotone. Ki avait effectivement connu des voyages aux panoramas bien plus intéressants.
La route durcie par le soleil avançait tout droit au travers d’une plaine constellée de buissons et d’animaux en train de paître. La plupart étaient des moutons blancs au faciès noir, mais elle avait aperçu au loin un troupeau de bovins au dos bossu et aux longues cornes écartées. Les rares habitations qu’ils dépassaient étaient des huttes de briques en terre cuite. Des huttes de bergers, songeait Ki, et visiblement abandonnées pour la plupart. Ces terres étaient désertées.
Plus tôt dans la journée, plusieurs caravanes les avaient dépassés. Dans la plupart des cas, les occupants n’étaient guère différents des gens qu’ils avaient vus à Keddi. Mais elle avait remarqué que Vandien s’était redressé pour examiner avec intérêt la dernière file de chevaux de bât et d’humains lourdement chargés qui les avaient dépassés. Les gens de cette caravane étaient subtilement différents des autres voyageurs qu’ils avaient aperçus. Ils étaient grands et basanés. Leurs corps élancés et la grâce de leurs mouvements rappelaient à Ki les chevreuils des plaines. Ils portaient de larges robes de couleur crème, blanche ou grise. Des flashs de couleur étaient visibles dans les écharpes lumineuses qui protégeaient leur tête du soleil et sur les bracelets qui cliquetaient sur leurs poignets ou leurs chevilles. Hommes et femmes arboraient des cheveux longs et raides, de toutes les teintes de brun imaginables mais immanquablement parsemés de reflets dorés visibles sous le soleil. Nombre d’entre eux allaient pieds nus. Les quelques petits enfants qui les accompagnaient étaient affublés d’écharpes colorées autour de la tête et de fort peu d’autres vêtements. Les animaux comme les enfants étaient munis de petites clochettes argentées qui tintinnabulaient agréablement au passage de la caravane. La plupart des chevaux marchaient au pas d’un air indolent sous le poids de leur charge mais, au bout de la colonne, s’étaient trouvés un étalon rouan et trois grandes juments blanches. Une toute petite fille chevauchait l’étalon, ses talons nus et poussiéreux rebondissant sur l’encolure de l’animal, ses cheveux flottant dans le vent au même titre que la crinière du cheval. Un homme de grande taille marchait à ses côtés, mais aucun des chevaux n’était mené par la bride, ni n’arborait la moindre trace de harnais. La petite fille leur avait souri en passant, exposant des dents très blanches au milieu de son visage sombre, et Ki lui avait rendu son sourire. Vandien avait levé une main pour les saluer et l’homme avait répondu d’un hochement de la tête, mais sans dire un mot.
— Je parie qu’ils ont des histoires à raconter. Je me demande où ils vont installer leur campement...
Les yeux de Vandien luisaient de curiosité.
— Un peu de compagnie serait agréable, avait renchéri Ki.
Elle avait songé par-devers elle que Cabri pourrait trouver des garçons de son âge avec lesquels s’amuser tandis qu’elle et Vandien installeraient le camp et profiteraient d’un moment ou deux de tranquillité.
— Camper près des Tamshins ? avait demandé Cabri d’un air dégoûté. Vous ne savez donc rien à propos de ces gens ? Vous avez de la chance que je sois ici pour vous mettre en garde. D’abord, ils sentent terriblement mauvais et ils sont infestés de puces et de poux. Tous leurs enfants sont des voleurs qui piquent tout ce sur quoi ils arrivent à mettre leurs sales petites mains. Et il est bien connu que leurs femmes ont une maladie qu’elles transmettent aux hommes, qui fait gonfler les yeux et saigner de la bouche. Ils sont dégoûtants ! Et la rumeur affirme que ce sont eux qui fournissent nourriture et informations aux rebelles, dans l’espoir de faire tomber le duc pour pouvoir s’emparer des terres et des affaires des honnêtes marchands et négociants.
— Ils ont l’air presque aussi affreux que les Romnis, avait affablement fait remarquer Vandien.
— Le duc a ordonné à ses troupes de Brurjans de maintenir les Romnis largement à l’écart de cette province. Donc, je n’en ai jamais vu, mais j’ai entendu...
— J’ai été élevée parmi les Romnis, avait lâché Ki.
Elle savait que Vandien avait tenté de lui faire voir toute la cocasserie de l’intolérance affichée par le garçon, mais cela touchait une corde trop sensible. La conversation s’était arrêtée là. Et l’après-midi n’avait cessé de s’éterniser, large, plat et sablonneux, avec pour seul décor des buissons épineux et l’herbe qui séchait dans la chaleur estivale. Une bien longue journée...
Au moins le garçon était-il resté silencieux durant les dernières heures. Ki lui lança un nouveau coup d’œil. Son visage semblait complètement vide, dénué de toute intelligence. Sans cela, il aurait pu être sinon beau, au moins affable. Ce n’était que lorsqu’il ouvrait la bouche pour parler ou lorsqu’il exposait ses dents jaunies dans une horrible grimace que Ki le trouvait repoussant. Il leva une main pour se gratter le nez et prit soudain une apparence si enfantine que Ki se sentit honteuse. Cabri restait clairement un enfant. S’il avait eu dix ans au lieu de quatorze, aurait-elle attendu qu’il se comporte comme un homme et fasse preuve de la retenue d’un adulte ? Elle avait là un garçon qui s’éloignait pour la première fois de chez lui, en compagnie d’inconnus et pour rejoindre un oncle qu’il n’avait pas vu depuis des années. Il était bien naturel qu’il se montre nerveux et d’humeur changeante, oscillant entre la bouderie et l’arrogance. Son apparence également jouait contre lui, car si elle l’avait aperçu au milieu d’une foule, elle lui aurait donné seize ans, voire plus. Juste un gamin. Elle sentit ses sentiments à son égard s’assouplir.
— Nous allons nous arrêter pour la nuit auprès de ces arbres là-bas, Cabri. Penses-tu que cette herbe plus verte puisse indiquer la présence d’une source ?
Il parut surpris qu’elle s’adresse à lui, en encore plus pour lui poser une question. Sa voix hésitait entre la timidité et une certaine morgue :
— Évidemment. Ce sont des arbres Gwigi. Ils ne poussent que près de l’eau.
Ki refusa de prendre ombrage du ton qu’il avait employé.
— Vraiment ? C’est bon à savoir. Vandien et moi sommes des étrangers dans cette partie du monde. Peut-être qu’au fil de notre voyage, tu pourras nous indiquer le nom des arbres et des plantes que nous croiserons. Et nous dire ce que tu sais à leur sujet. Ce genre d’information est toujours utile.
Le garçon prit immédiatement l’air radieux. Il sourit de toutes ses dents.
— Je connais toutes les plantes et tous les arbres par ici. Je pourrais vous enseigner tout ce qu’il faut savoir à leur sujet. Bien sûr, il y a beaucoup à apprendre, alors vous ne vous souviendrez sans doute pas de tout. Mais j’essayerai de vous apprendre. (Il marqua une pause.) Mais si je fais ça, j’estime que je n’aurai pas à vous aider à effectuer les corvées du soir.
Ki émit un petit rire.
— Avec ton sens du marchandage, tu devrais devenir négociant et non guérisseur. Bon, je ne pense pas que me donner le nom de quelques arbres te permette d’échapper aux corvées. Mais pour cette première nuit, tu peux te contenter d’observer au lieu de nous aider, jusqu’à ce que tu aies appris ce qu’il y a à faire chaque nuit. Est-ce que ça te paraît juste ?
Elle avait adopté un ton plein de tolérance.
— Eh bien, grimaça Cabri, je continue de penser que je ne devrais pas avoir à effectuer la moindre corvée. Après tout, mon père vous a payés et je vais vous enseigner un tas de choses importantes. Je vous ai déjà évité de camper près des Tamshins.
— Nous verrons, répondit brièvement Ki.
Elle faisait de son mieux pour garder un esprit ouvert à l’égard du garçon. Il avait le don de dire les choses les plus malvenues. C’était comme si personne ne l’avait jamais réprimandé pour sa grossièreté. Peut-être allait-il falloir faire preuve de plus de franchise. Elle s’éclaircit la gorge :
— Cabri, je vais être très directe avec toi. Lorsque tu tiens des propos grossiers envers les Tamshins, je trouve ça choquant. Je n’ai jamais rencontré un peuple dont les individus méritent d’être jugés à l’aune de généralités. Et je n’aime pas que tu insistes encore et encore lorsque j’ai déjà répondu non à l’une de tes demandes, comme la conduite du chariot cet après-midi. Crois-tu pouvoir arrêter de faire ce genre de choses ?
Le visage de Cabri prit un air boudeur.
— D’abord vous commencez à être gentille et à me parler, puis d’un coup vous dites que je suis grossier et vous inventez toutes ces règles ! J’aimerais ne jamais être parti avec vous !
— Cabri ! (C’était la voix de Vandien, couvrant ses protestations.) Écoute. Ki n’a pas dit que tu n’étais pas gentil. Elle a dit que certaines des choses que tu dis ne le sont pas. Et elle t’a demandé, plutôt poliment, d’arrêter de dire ce genre de choses. Maintenant, tu dois choisir. Veux-tu que Ki te parle honnêtement, comme elle le ferait avec un adulte, ou qu’elle te traite comme un bébé, un gamin au mauvais caractère ?
Les mots de Vandien recelaient un défi. Ki vit la colère envahir le visage de Cabri.
— Eh bien, j’étais honnête, moi aussi. Les Tamshins sont des voleurs ; demandez à n’importe qui ! Et mon père a payé pour ce voyage. Je ne vois pas pourquoi j’aurais à faire tout le travail. Ce n’est pas juste.
— Juste ou non, c’est ainsi. Tu devras faire avec, lui répondit Vandien.
— Cela a peut-être l’air injuste maintenant, intervint Ki d’une voix douce. Mais au fil du trajet, tu verras comment tout cela fonctionne. Pour ce soir, tu n’auras aucune corvée à effectuer. Tu peux te contenter de regarder. Et tu verras que demain tu auras peut-être envie de nous aider.
Son ton était des plus raisonnables.
— Mais lorsque j’ai voulu vous aider à conduire le chariot aujourd’hui, vous avez dit non. Je parie que vous allez me demander de faire toutes les corvées dégoûtantes.
Ki avait épuisé ses réserves de patience. Elle resta silencieuse. Mais Vandien se tourna vers Cabri pour lui décocher un étrange sourire.
— Nous verrons, lui promit-il.
La lumière diminuait, les arbres grandissaient à vue d’œil et, sans même un signe de Ki, l’attelage quitta la route pour s’avancer dans la prairie abîmée par le soleil qui bordait la chaussée. Elle arrêta les hongres près des arbres. Les animaux et le chariot s’immobilisèrent enfin, mettant un terme aux oscillations et aux grincements qui les avaient accompagnés durant tout le trajet. Ki se pencha pour enrouler les rênes autour de la poignée de frein. Elle posa les deux mains au creux de son dos et se cambra pour apaiser son échine douloureuse. Vandien fit rouler ses épaules et entreprit de se lever lorsque le garçon passa par-dessus ses genoux pour sauter au bas du chariot et s’enfuir en courant vers les arbres.
— Ne va pas trop loin ! lui lança Ki.
— Laisse-le donc courir, suggéra Vandien. Il est resté assis immobile toute la journée. Et pour ma part, je serais ravi de ne pas l’avoir dans les parages pendant un moment. Il n’ira pas bien loin. Il doit probablement avoir un besoin pressant.
— Je n’avais pas pensé à ça, admit Ki. Toi et moi, nous sommes habitués à ces longues journées de voyage. Ce doit être plus dur pour lui. J’imagine qu’il n’a pas osé demander à une inconnue d’arrêter le chariot. Peut-être devrions-nous prévoir de faire plusieurs arrêts demain. Pour manger et pour permettre aux chevaux de se reposer un peu.
— Nous ferons comme tu le jugeras bon.
Vandien se laissa tomber au sol avec légèreté. Il resta debout quelques instants pour s’étirer et faire rouler ses épaules.
— Mais je doute que ce garçon soit embarrassé à l’idée de dire quoi que ce soit. (Il jeta un coup d’œil en direction de Ki.) Et je ne crois pas que tes manières douces et ta patience marcheront avec lui. Il agit comme s’il n’avait jamais dû endosser la responsabilité de ses actes. À un moment ou à un autre de ce voyage, il va en découvrir les conséquences.
— Ce n’est qu’un gamin, malgré sa taille. Tu le réalises aussi bien que moi.
Ki émit un grognement, sentant la raideur de ses articulations tandis qu’elle descendait du siège du conducteur.
— C’est un enfant gâté, admit Vandien. Et je ne suis pas loin de penser qu’il serait presque plus facile de l’accepter tel quel pour la durée de ce voyage au lieu d’essayer de lui mettre un peu de plomb dans la cervelle au fil du trajet. Laissons donc son oncle lui enseigner les bonnes manières et la discipline.
— Peut-être, concéda Ki tandis que ses doigts s’activaient sur les lourdes boucles des harnais.
De l’autre côté, Sigurd décocha son habituel coup de patte en direction de Vandien. Celui-ci fit un pas de côté avec toute la grâce née d’une longue habitude et administra la claque d’usage sur l’arrière-train du grand cheval. Ce petit cérémonial accompli, le retrait du harnais se déroula sans encombre.
Tandis qu’ils conduisaient les hongres en direction de l’eau, Ki réfléchit à haute voix :
— Où donc est allé Cabri ?
Un grand bruit d’éclaboussure lui répondit. Elle traversa en hâte les épais buissons qui entouraient la source. Celle-ci se trouvait dans un creux, entourée de berges d’herbes et de buissons profitant de son irrigation. Cabri était assis au milieu du ruisseau, de l’eau jusqu’à la poitrine. Ses vêtements s’étalaient sur la berge. Il les accueillit avec un grand sourire.
— Ce n’est pas un bassin très grand, mais c’est suffisant pour se rafraîchir.
— Tu as pris soin de boire de l’eau bien fraîche avant d’aller remuer la boue au fond, n’est-ce pas ? lui demanda Vandien d’une voix chargée de sarcasme.
— Bien sûr. Pas très froide mais tout à fait buvable.
— Vraiment ? demanda sèchement Vandien.
Il jeta un coup d’œil à Ki puis tendit le bras pour lui mettre la longe de Sigurd entre les mains.
— Tu expliqueras ça aux chevaux, dit-il. Je ne suis pas sûr qu’ils me croiraient.
Il se retourna et repartit à travers les arbres en direction du chariot. Ki demeura seule, les yeux fixés sur Cabri. Elle se força à agir calmement. Il n’avait pas été élevé par les Romnis. Il ne connaissait rien de la séparation fastidieuse entre l’eau destinée à être bue et l’eau destinée à la baignade. Non seulement il avait sali toute l’eau disponible, mais sa nudité était offensante. Ki se rappela qu’elle ne se trouvait pas parmi les Romnis et que ses errances lui avaient appris à se montrer tolérante envers les habitudes particulières des autres voyageurs. Elle se rappela qu’elle avait décidé d’être patiente, mais honnête, avec Cabri. Même si cela nécessitait de lui expliquer les choses les plus évidentes.
Il lui fit une large grimace et se mit à battre des pieds en créant dans l’eau des serpentins de boue. Sigurd et Sigmund, assoiffés et guère chipoteurs, se libérèrent de la poignée molle de Ki pour s’approcher de l’eau. Leurs larges museaux plongèrent dans l’eau en créant des rides à sa surface et ils se mirent à boire à longues gorgées. Ki aurait aimé partager leur indifférence.
Cabri les ignora. Il sourit à Ki :
— Pourquoi est-ce que vous n’enlevez pas vos vêtements pour venir me rejoindre dans l’eau ? demanda-t-il d’un ton enjôleur.
Il constituait une telle combinaison de lubricité offensante et de juvénilité que Ki ne put décider si elle devait lui décocher un regard noir ou se mettre à rire. Elle se força à conserver un air d’indifférence :
— Sors de là et habille-toi. J’ai à te parler.
Elle avait prononcé ces mots d’une voix normale.
— Pourquoi ne pas discuter dans l’eau ? insista-t-il. (Il sourit largement.) Nous pourrons même nous dispenser de parler, ajouta-t-il sur un ton de conspirateur.
— Si tu étais un homme, dit-elle d’une voix égale, je me mettrais en colère. Mais tu n’es qu’un petit garçon sans manières.
Elle lui tourna le dos et s’éloigna en tentant de maîtriser la fureur qui s’agitait en elle.
— Ki ! lui cria-t-il. Attendez ! S’il vous plaît !
Son changement de ton était si abrupt qu’elle se sentit obligée de tourner la tête.
— Je suis désolé, dit-il à voix basse, les yeux baissés sur les bottes de Ki.
Ses épaules s’inclinaient en direction de son torse glabre. Lorsqu’il releva son regard vers elle, ses yeux étaient largement écarquillés :
— Je fais tout de travers, n’est-ce pas ?
Elle ne savait pas quoi dire. Une telle vulnérabilité était si surprenante, après toutes ses fanfaronnades. Elle avait du mal à le croire.
— Je veux juste... Je veux être comme les autres. Parler comme eux, me faire des amis.
Les mots sortaient maladroitement. Ki ne pouvait détourner le regard.
— Faire des plaisanteries, taquiner les gens. Mais lorsque je le fais, ça ne sonne pas drôle. Personne ne rit, tout le monde se met en colère contre moi. Et ensuite, je... Je suis désolé pour ce que je viens de dire.
Ki restait debout, immobile. Elle réfléchissait. Elle pensa avoir un aperçu du problème du garçon.
— Je comprends. Mais ce genre de plaisanteries prend du temps. Venant d’un étranger, elles ne sont pas drôles.
— Je suis toujours un étranger. L’étrange Cabri, avec ses yeux jaunes et ses dents. (Sa voix était pleine d’amertume.) Vandien me déteste déjà. Il ne changera pas d’avis. Personne ne m’offre jamais de seconde chance. Et je n’y arrive jamais du premier coup.
— Peut-être ne donnes-tu pas aux autres une seconde chance, lui lança Ki abruptement. Tu as déjà décidé que Vandien ne t’aimerait pas. Pourquoi ne changes-tu pas ta manière d’agir ? Essaye donc d’être poli et serviable. Peut-être que d’ici à la fin de ce voyage, il aura oublié comment tu t’es conduit au départ.
Cabri leva les yeux vers elle. Elle n’aurait su dire si son regard était empli de ruse ou de timidité.
— Est-ce que vous, vous m’aimez bien ?
— Je ne sais pas encore, répondit-elle fraîchement.
Puis, d’une voix plus chaleureuse, elle ajouta :
— Pourquoi ne vas-tu pas te sécher et t’habiller avant de revenir au camp ? Essaye d’être aimable et vois ce que cela donnera.
Il baissa les yeux vers l’eau boueuse et hocha silencieusement la tête. Elle se détourna de lui. Qu’il prenne le temps de réfléchir un peu. Elle prit les longes des chevaux et les emmena paître non loin de la source. Ils ne s’éloigneraient pas : le chariot était leur maison. Comme elle traversait la végétation entourant la source, elle se demanda si elle devait demander à Vandien de parler au garçon. Vandien était si doué avec les autres, il se faisait si facilement des amis. Comprendrait-il la maladresse de Cabri ? Le garçon avait besoin d’un ami, d’un homme qui l’accepte. Son père avait paru être un homme bien, mais il y avait certaines choses qu’un garçon ne pouvait apprendre de son père. Elle s’arrêta quelques instants à l’orée des arbres pour trouver les mots et se découvrit en train d’observer Vandien.
Il avait mis un genou à terre et lui tournait le dos, occupé à allumer le feu nocturne. Les courtepointes étaient étalées sur l’herbe non loin et la bouilloire attendait, juste à côté. Comme elle s’approchait sans bruit, elle constata que sa chevelure noire était humide et frisée. Il s’était déjà lavé et avait également préparé une bassine d’eau à son intention à partir des tonneaux d’eau accrochés au flanc du chariot. Des étincelles jaillissaient entre ses mains ; des brins d’herbes se consumèrent avant de s’éteindre. Il marmonna ce qui était sans doute un juron dans une langue qu’elle ne connaissait pas. Elle se rapprocha, posa une main sur son épaule et s’accroupit pour l’embrasser à la base du cou. Il n’avait pas vraiment sursauté.
— Je savais que tu étais là, dit-il d’une voix neutre.
Il provoqua de nouvelles étincelles. Cette fois, le petit-bois prit et une minuscule flamme pâle en jaillit.
— Non, tu n’en savais rien, le contredit Ki.
Elle regarda par-dessus son épaule tandis qu’il nourrissait le feu nouveau-né de brindilles et de morceaux d’herbe sèche. Elle enroula lentement l’une de ses boucles humides autour de son doigt. Le geste révéla la marque de naissance qu’il portait sur la nuque, dont la forme évoquait vaguement des ailes déployées. Elle en traça le contour du bout du doigt.
— Vandien ? fit-elle prudemment.
— Chut ! lui lança-t-il soudain.
Mais elle avait déjà entendu : des bruits de sabots, un cheval poussé au galop. Comme un seul homme, ils s’avancèrent jusqu’à l’arrière du chariot pour scruter la route. Les commentaires de Cabri sur le sentiment que le duc nourrissait à l’égard des Romnis avaient rendu Ki nerveuse.
Un grand cheval rouan à l’épaisse crinière galopait lourdement dans leur direction. Le gris pâle du ciel et l’immense pleine déserte s’étalaient derrière lui ; c’était le seul être en mouvement à la surface du monde. Ses sabots s’abattaient lourdement au sol, comme s’il était trop fatigué pour faire preuve de grâce, et de l’écume dessinait les plats et les déliés de ses muscles. Pourtant, il dégageait quelque chose de beau. Sur son dos se trouvaient deux jeunes filles, leurs longues chevelures de noir et de feu s’agitant au rythme des enjambées du cheval. Elles avaient le visage rouge et luisant, sous la fine couche de poussière laissée par la route. Leurs larges robes avaient été relevées afin de pouvoir chevaucher le grand rouan et leurs jambes nues, terminées par des sandales, enserraient ses larges flancs. Ki les regarda s’approcher sans mot dire, saisie par leur beauté et leur vitalité.
— On dirait les deux filles du marché à l’embauche, murmura Vandien à ses oreilles.
Elle percevait le sourire dans sa voix.
— On dirait bien que la rouquine file rejoindre son amoureux, après tout.
Puis une voix claire s’éleva dans le crépuscule :
— Holà du chariot !
Vandien sortit du chariot et leva une main en signe de salutation. Les deux filles sourirent largement en le voyant, puis le cheval quitta la route pour se diriger vers eux dans l’herbe sèche. La jeune fille assise à l’avant tira sur les rênes. Le rouan résista d’un air têtu puis dressa les oreilles pour écouter sa voix. Il s’arrêta docilement mais continua d’agiter la tête comme pour lui montrer qu’il n’obéissait que parce qu’il en avait envie.
— Magnifique, murmura Ki, fascinée par sa silhouette gracieuse et son port fier.
— Elles le sont, n’est-ce pas ? demanda Vandien comme les jeunes filles glissaient au bas du rouan.
Elle dut acquiescer là aussi. Elle estima que leurs arrivantes avaient entre quinze et dix-huit ans, mais elle n’aurait pas su dire laquelle était la plus âgée. Leur taille et leur silhouette étaient si semblables qu’elles auraient pu être jumelles, mais la ressemblance s’arrêtait là. La fille aux cheveux noirs et aux superbes yeux bleus aurait été considérée comme une beauté n’importe où dans le monde, mais celle-ci n’aurait pas suffi à empêcher quiconque de regarder sa sœur. La chevelure de cette dernière brillait d’un éclat entre le cuivre et la rouille. Ses yeux vairons, largement espacés au-dessus d’un nez droit, croisèrent ceux de Ki avec franchise. Ils transformaient ce que certains auraient considéré comme un défaut en une source d’attirance instantanée. Là où sa sœur avait une peau d’olive, la sienne était pâle. D’irrésistibles taches de rousseur constellaient son nez. Son sourire découvrait des dents très blanches. Son regard passa de Ki à sa sœur, avant de se fixer sur Vandien.
— Je suis si heureuse que nous vous ayons rattrapés, dit-elle d’une voix essoufflée. Nous n’avons appris votre départ qu’après midi. Si Elyssen n’avait pas réussi à emprunter ce cheval, je n’aurais jamais pu vous rejoindre !
— Emprunter, en effet ! s’exclama Elyssen. Et je ferais mieux de m’assurer que Rud est de retour avant le matin, sans quoi le maître de Tomi lui passera un savon.
— Chut ! lança la fille aux cheveux roux à sa sœur.
Mais des étincelles d’amusement jaillissaient entre elles.
Toutes deux tournèrent vers Vandien un visage plein d’espoir. Un ange passa.
— Venez près du feu et dites-nous pourquoi vous aviez tant besoin de nous rattraper, suggéra Vandien. Nous pourrons au moins vous proposer une tasse de thé près du feu.
L’obscurité se diffusait rapidement sur la plaine. Le feu minuscule était comme un phare, vers lequel Ki et Vandien guidèrent les jeunes filles. Celles-ci les suivirent en chuchotant entre elles.
— Tu as remarqué le ballot accroché à la selle de Rud ? demanda discrètement Ki à Vandien.
Celui-ci hocha la tête.
— Je leur ai dit que nous ne pouvions pas prendre de passagers.
— Mais ensuite, vous l’avez fait !
C’était la jeune fille aux cheveux roux qui hâtait le pas pour les rattraper :
— Nous avons entendu dire à Keddi que vous emmeniez Cabri à Villena. Donc nous avons su que vous aviez changé d’avis, et comme Tekum est sur votre chemin...
Sa main se posa sur le bras de Vandien, le forçant à rencontrer son regard plein d’espoir.
— Nous ne prenons pas de passager, annonça Ki d’une voix douce.
Elle s’approcha du feu pour y déposer la bouilloire.
— Mais si vous emmenez Cabri jusqu’à Villena, pourquoi ne pas emmener Saule à Tekum ? objecta Elyssen. S’il est votre passager, pourquoi ne pourrait-elle pas l’être ? Nous avons de l’argent pour payer son voyage.
— Parce qu’il n’y aura pas de père furieux pour le suivre à la trace. Brin nous a confié Gotheris.
La voix de Vandien était ferme, mais Ki y perçut une certaine réticence. Les grands yeux de Saule s’illuminèrent brusquement.
— Mais la situation n’est pas celle que vous pensez ! Vous pouvez demander à Elyssen si vous ne me croyez pas. Papa n’a rien contre mon mariage avec Kellich. C’est simplement que mon père n’a pas beaucoup d’argent, en ce moment.
— Oui, et il est trop orgueilleux pour le dire à Kellich, intervint Elyssen. Alors quand Kellich a demandé à Saule de le suivre, papa le lui a interdit. Parce qu’il ne pouvait pas lui fournir toutes les choses qu’une femme devrait emmener avec elle lorsqu’elle part avec un homme.
— Une tasse de thé nous permettra peut-être d’éclaircir tout ça, suggéra Vandien.
Ki leur fit signe de s’asseoir sur l’édredon près du feu. Comme elle allait chercher des tasses dans le vaisselier attaché au chariot, elle se demanda ce qu’elle allait dire. Elle n’avait jamais pris de passagers auparavant. Elle n’avait guère été enthousiaste à l’idée d’emmener Cabri ; elle ne s’adaptait pas facilement à la nécessité de partager son intimité avec d’autres. Même Vandien, au départ, lui avait semblé être un intrus, une gêne, plutôt qu’un compagnon. Elle se retrouvait obligée d’accepter la compagnie de Gotheris pendant deux semaines et elle le regrettait déjà. Et voilà que cette Saule demandait à les accompagner jusqu’à Tekum... Le pire était que Ki ne trouvait aucune excuse pour refuser. Deux passagers seraient-ils pires qu’un seul ? Et il y avait l’aspect pécuniaire à considérer, dans cette période où il était difficile de trouver de l’argent. Elle jeta un regard en arrière, vers Vandien qui hochait la tête en écoutant le récit de la jeune fille. Elle n’avait pas besoin de lui demander ce qu’il en pensait. Elle ajouta de l’herbe à thé dans la bouilloire.
— ... et donc ça arrive tout le temps. Lorsque la famille d’une jeune fille n’a pas les cadeaux d’épousailles à lui donner ou quand la famille du garçon ne peut se permettre de l’installer dans un nouveau chez lui, ils s’enfuient ensemble. Alors les deux familles se plaignent que leurs enfants sont des bons à rien. Mais dès que le premier petit-enfant naît, le couple revient et demande pardon. Et, bien sûr, on leur pardonne, et tout est bien qui finit bien.
Saule s’exprimait avec ferveur, tandis qu’Elyssen hochait la tête avec entrain.
— C’est vrai, Vandien ! Je le jure ! Papa ne sera pas en colère. Lorsque Kellich est parti, Saule a pleuré pendant des jours et des jours. Et Papa était terriblement navré.
— Tu n’avais pas besoin de lui dire que j’avais pleuré ! s’indigna Saule.
— Mais c’était le cas ! Et Papa était en colère, comme à chaque fois que l’une de nous est triste et qu’il ne peut rien y changer.
— Vous êtes sûres qu’il n’est pas simplement en colère parce que Saule refuse de l’écouter ? interrogea Ki.
Elle leur fit passer les tasses puis tira le thé des braises sur lesquelles il infusait. Elle remplit les tasses qu’on lui tendait.
Les yeux d’Elyssen se plissèrent d’un air joyeux :
— Alors pourquoi lui aurait-il donné des pièces, autant qu’il pouvait se le permettre, en lui disant d’oublier Kellich et d’acheter le cheval dont elle avait toujours rêvé ?
— Il savait que si j’avais un cheval, j’aurais suivi Kellich dès son départ. Mais l’argent n’était pas suffisant pour une monture. Je le sais, car j’ai essayé d’en acheter une. Mais j’ai pensé que cela pourrait suffire pour acheter mon transport. Voyez.
Saule défit une petite poche de tissu à sa ceinture et, avant que Ki n’ait pu prononcer un mot, la vida sur la couverture. Une lourde pièce en forme de croissant et quelques piécettes de cuivre et d’argent tombèrent en tintant. La jeune femme releva sur Ki et Vandien des yeux vairons pleins d’innocence et d’espoir :
— Est-ce assez pour payer mon transport jusqu’à Tekum ?
— C’est assez pour te faire trancher la gorge, si tu es assez folle pour les montrer à des inconnus en chemin, gronda Vandien.
Les yeux de Saule s’écarquillèrent et Elyssen se releva d’un bond.
— Oh, asseyez-vous ! leur lança Ki. Vandien essayait de vous mettre en garde, pas de vous menacer.
Ki croisa le regard de Vandien et y lut son commentaire silencieux.
— Elles ne tenteront d’acheter leur passage auprès de quelqu’un d’autre que si nous refusons, dit-elle.
Les yeux sombres de Vandien s’illuminèrent.
— Je suppose, admit-il. (Il se tourna vers Saule, qui le fixait toujours d’un air anxieux.) C’est la façon qu’à Ki de dire que tu peux voyager avec nous.
— Oh, Saule ! soupira Elyssen.
Saule ramassa immédiatement l’argent pour le tendre à Vandien, comme si elle craignait qu’il ne change d’avis à tout moment.
— Merci. Oh, merci. Je vous promets de ne vous causer aucun souci. Je le promets. Oh, je n’arrive pas à croire que je vais vraiment partir. Elyssen disait que je ne pourrais jamais convaincre des gens âgés comme vous de l’importance pour moi de retrouver Kellich, ni d’à quel point il a besoin de moi !
Saule se tourna vers sa sœur et vit que les yeux d’Elyssen brillaient de la même joie que les siens. Elle se jeta dans ses bras et la serra ardemment contre elle.
— Je n’oublierai jamais la façon dont tu m’as aidée, Elyssen. Jamais ! Et lorsque ton heure viendra...
Elyssen la serrait fort contre elle, les yeux presque fermés, une expression entre le rire et les larmes sur le visage. Soudain, ses yeux sombres s’ouvrirent.
— Cabri, souffla-t-elle.
Saule se libéra de son étreinte. Elle suivit le regard de sa sœur et un étrange silence s’ensuivit. Ki et Vandien se dévisagèrent, étonnés du brusque changement d’humeur des deux filles. Elles avaient adopté une posture défensive, comme si elles se trouvaient menacées par une bête sauvage.
Cabri se tenait aux limites de la zone éclairée par le feu. Il tenait quelque chose entre ses bras. Son expression se situait entre le ravissement et l’incrédulité. Il s’avança maladroitement, comme s’il n’était pas sûr de son équilibre. Ses yeux passaient d’un visage à l’autre, comme s’il cherchait la réponse à la question qui occupait son esprit.
— Oh, Saule, gémit Elyssen.
— Tout ira bien, dit Saule à mi-voix, l’air farouche. Je te l’ai dit. Je sais prendre soin de moi, Elyssen.
— Fais attention, malgré tout ! chuchota Elyssen.
Elle se releva pour prendre congé.
— Bon, tout est réglé... sauf pour Rud et moi. J’ai promis à Tomi que je le lui ramènerais largement à temps pour qu’il puisse l’étriller et lui permettre de se reposer avant le matin. Au revoir à tous !
— Attends, Elyssen ! lui cria Saule en s’élançant derrière sa sœur dans les ténèbres.
Cabri s’approcha, le regard d’abord fixé sur les jeunes filles avant de revenir sur Ki. Ses bras étaient chargés d’objets brunâtres. Il les porta jusqu’au bord de la courtepointe sur laquelle Vandien et Ki étaient assis. Se baissant, il demanda dans un murmure rauque :
— Qu’est-ce qu’elle a dit sur mon compte ?
Ki croisa le regard perplexe de Vandien.
— Rien, Cabri. Seulement qu’elle avait entendu dire que tu partais avec nous jusqu’à Villena. Elle voulait savoir si nous accepterions un autre passager.
Cabri écarquilla les yeux :
— Elle veut aller à Villena avec moi ?
— Non. Seulement jusqu’à Tekum. J’ai cru comprendre que son amoureux s’y trouve et qu’elle va l’y rejoindre.
— Kellich...
Sa voix était pleine de mépris. Et de déception ? Ki n’en était pas sûre.
— Qu’est-ce que tu as dans les mains ? demanda Vandien au garçon.
— Des coquefruits. Qu’on trouve sur les arbres Gwigi, vous savez.
Cabri faisait profil bas, il était presque timide. Il jeta un œil vers l’endroit où se tenaient les deux jeunes filles. Saule avait récupéré ses affaires sur le dos de Rud. Les deux sœurs s’enlacèrent avec ferveur.
— Non, ça ne me dit rien.
Vandien tendit la main et récupéra un fruit entre les bras du garçon. Il le retourna entre ses doigts d’un air curieux.
— Je n’en ai jamais vu auparavant. Ils sont comestibles ?
Cabri sursauta, comme s’il avait oublié que Vandien et lui étaient en train de parler. Il baissa les yeux vers le fruit que Vandien tenait à la main.
— On les fait griller au feu et après on brise la coque. Ils sont sucrés à l’intérieur. Je les ai cueillis pour qu’on puisse les partager.
Les bruits de sabots de Rud qui s’éloignait attirèrent son attention et il se détourna de nouveau. Il fixa son regard sur Saule, debout dans la pénombre pour regarder s’éloigner sa sœur.
— On pourrait presque imaginer que tu essayais de te faire pardonner ton comportement de tout à l’heure, fit remarquer Vandien d’un ton mordant.
Les yeux du garçon se tournèrent vers lui.
— Je suppose, murmura-t-il.
Son regard oscilla entre la silhouette de Saule qui revenait vers eux et le visage sévère de Vandien. Il ne voulait pas se faire réprimander devant elle.
— Bien. J’avais peur d’être obligé de te prendre à part pour te raisonner, plus tard dans la soirée.
Aux oreilles de Ki, le ton de Vandien indiquait clairement que sa façon de « raisonner » avec Cabri aurait pu emprunter un autre chemin que la parole. Mais l’allusion échappa totalement à Cabri. Son front se plissait d’inquiétude tandis qu’il coulait vers Saule des regards discrets, avant de reporter vivement son attention ailleurs. Vandien se tourna vers la jeune fille qui approchait.
— N’en parlons plus pour l’instant. Mais je suis favorablement impressionné. Un garçon qui sait faire des excuses lorsqu’il a mal agi n’est pas loin d’être un homme.
L’approbation perceptible dans la voix de Vandien lui valut soudain toute l’attention de Cabri. Le visage du garçon s’éclaira, non de son habituelle grimace d’idiot, mais d’un sourire hésitant.
— Il y en a assez pour nous tous, dit-il. Et même pour Saule, ajouta-t-il prudemment. Je vais vous montrer comment les faire cuire, proposa-t-il.
Il parlait plus pour le bénéfice de la jeune fille que pour Ki et Vandien.
Elle le fixait, debout de l’autre côté du feu. Son regard était aussi énigmatique que celui d’un chat. Puis elle s’avança souplement dans le cercle de lumière. Elle reprit sa place sur l’édredon, récupéra sa tasse de thé et y trempa les lèvres. Elle avait pris grand soin d’ignorer totalement Cabri. Ki grimaça. Le garçon rougit profondément.
— Alors, comment les fait-on cuire ? lui demanda Vandien avec curiosité, comme s’il n’avait rien remarqué.
Ce n’était pas le cas, Ki l’aurait parié. Elle seule était sans doute capable de percevoir la note de compassion dans sa voix.
— On les pose simplement... près des braises... du feu, et on les laisse là quelque temps.
La voix du garçon était hésitante.
— Bon, pendant que vous deux vous occupez de ça, je vais préparer le plat principal, déclara Ki pour combler le silence.
— Laissez-moi vous aider, proposa immédiatement Saule, d’une voix aussi désarmante que son sourire.
— Je me débrouille très bien seule, lui répondit fraîchement Ki.
— Je vous en prie, j’adore cuisiner, supplia la jeune fille.
Son visage était si innocent que Ki se demanda si elle n’avait pas conscience de la façon dont elle avait humilié Cabri. Les doigts de Saule se révélèrent agiles et son sourire facile tandis qu’elle tranchait la viande séchée en petits morceaux qui mijotaient à part de la casserole de légumes et de racines que Ki préparait. Elle se répandit en compliments sur l’ordre et la propreté qui régnaient dans le chariot lorsqu’elle y déposa ses affaires, et se montra si charmée et si charmante que Ki ne put lui tenir rigueur de son comportement passé. Elles déposèrent ensemble bols et pain de voyage tandis que Saule parlait à Ki de son Kellich. C’était, entendit Ki, un excellent dresseur de chevaux et on lui avait offert un très bon poste chez un riche résident de Tekum. C’était aussi, raconta Saule, un jeune homme beau, plein d’esprit, chevaleresque et joyeux, un danseur plein de grâce et un épéiste talentueux. Mais aussi, songea Ki à partir des éléments que lui fournissait Saule, un dandy avec une tendance à se montrer impulsif. Mais Saule considérait clairement ces facettes de son caractère comme des vertus. Ki sourit pour elle-même.
— La nourriture est prête, annonça Vandien en tirant les casseroles du feu.
L’odeur savoureuse emplit la nuit. Ki leur servit du thé tandis que Vandien servait de généreuses portions dans chaque bol. La conversation se fit rare tandis que les quatre voyageurs prenaient conscience de la faim qui leur tenaillait le ventre. Ils mangèrent dans un silence seulement troublé par le frottement de leurs cuillères sur le fond des bols.
— Ça a un goût bizarre, lança Cabri à un moment. Je veux dire que c’est différent de ce à quoi je suis habitué, se hâta-t-il de préciser.
Vandien se pencha sur son repas pour dissimuler un sourire et Ki hocha la tête. Mais Saule cessa de manger pour dévisager Cabri pendant quelques instants.
Ils étaient en train de saucer leurs bols avec du pain de voyage lorsque Cabri se releva brusquement.
— Ça doit être prêt, dit-il à Vandien.
S’emparant d’une petite branche, il poussa chaque coque-fruit hors des braises. De petites fissures étaient visibles dans leurs croûtes pelucheuses. Après les avoir laissés refroidir, Cabri en ramassa un et l’ouvrit. La pulpe exposée était d’une couleur entre le rose et le rouge. Du jus coula sur les doigts du garçon et une odeur sucrée se répandit dans l’air. Vandien lança un fruit à Ki, qui y goûta prudemment. La texture évoquait celle d’une pomme cuite et le goût ne ressemblait ni tout à fait à celui d’une pêche ni à celui d’une fraise.
— Pas pour moi, annonça Saule avant d’ajouter un « merci » à l’intention de Vandien pour adoucir son propos.
— Comme tu voudras. (Il haussa les épaules et ramena le fruit tendu vers lui.) Cabri en a ramassé en quantité.
— Ils sont bons, ajouta timidement le garçon.
Elle porta son regard sur lui et son sourire charmant disparut. Ses yeux se durcirent sous l’effet d’une émotion indéchiffrable. Lorsqu’elle parla, ce fut d’une voix pleine de mépris :
— Tu sais que je ne mangerais jamais rien que tu aies pu toucher, Cabri. Tu le sais.
Un long silence s’abattit sur le groupe. Le garçon, embarrassé, resta assis près du feu. Il regardait Vandien. Ki gifla Saule du regard, choquée par la cruauté désinvolte de la voix et des paroles de la jeune fille.
— Et ils poussent sur les arbres Gwigi ? interrogea Vandien.
Son ton suggérait que les mots de Saule ne méritaient guère d’attention. Il s’agenouilla près du garçon, ne s’intéressant qu’à son visage, mais Ki sentit qu’il en voulait à Saule.
La main de Cabri trembla légèrement tandis qu’il tirait un autre fruit du lit de braises. Il acquiesça silencieusement, tête baissée.
— Et si vous avez un peu de jugeote, vous ne les mangerez pas non plus, insista Saule d’une voix glacée. (Sa colère soudaine parut enfler.) Et vous ne dormirez que d’un œil près de lui. Parce que pendant que vous rêvez, il se glissera dans votre dos et volera...
— Ce n’est pas vrai, Saule ! s’exclama Cabri.
Mais sa voix était plus effrayée que menaçante.
— Vraiment ? (Les mots de la jeune fille étaient tranchants.) Je sais à quoi m’en tenir. Mais eux non, n’est-ce pas, petit voleur ? Je ne pensais pas que Brin dirait la vérité sur la cargaison qu’il leur remettait.
— Assez ! résonna la voix grave de Vandien. J’ignore quelle rancune existe entre vous. Mais, quelle qu’elle soit, laissez-la de côté et ne nous mêlez pas à vos histoires.
Saule le fixait, les yeux écarquillés comme s’il venait de la gifler.
— Vandien a raison, intervint Ki avant que la jeune fille prenne la parole. Nous allons voyager tous les quatre ensemble pendant un moment. Si vous avez un vieux différend, oubliez-le. Ou bien ignorez-le et restez civils l’un envers l’autre. Le chariot est un endroit trop petit pour les chamailleries.
— Mais vous ne comprenez pas... reprit Saule.
— Et je n’y tiens pas, la coupa fermement Ki. Je ne veux pas entendre des accusations de mensonges et de vol lancées de part et d’autre. Cela n’a guère d’importance pour la courte période que nous allons passer ensemble. Si quelque chose t’appartenant est volé durant le voyage, Saule, je m’assurerai que tu sois dédommagée. Et c’est tout ce que je souhaite en dire.
Ki sentait son cœur battre la chamade. Dieux, comme elle détestait ce genre de scène. C’était la raison pour laquelle Vandien et elle se déplaçaient seuls, à l’écart des autres. Les pinaillages et les querelles, toute cette colère inutile... et toujours, toujours, des gens à la recherche de quelqu’un à blâmer.
Saule la fixait. Ses joues n’étaient pas rougies que par la chaleur du feu. Elle avait les yeux luisants. La jeune fille était soit très en colère, soit au bord des larmes. Probablement les deux, songea Ki. Elle n’avait pas l’air habituée à ne pas obtenir ce qu’elle voulait. Lorsqu’elle reprit la parole, sa voix était tendue :
— Très bien, Ki la conductrice. Si j’avais eu une autre méthode pour rejoindre Kellich, je l’aurais utilisée, comme vous le savez. J’avais cru que vous voudriez savoir ce que tout le village sait concernant Cabri. Mais puisque ce n’est pas le cas, je n’en dirai pas plus sur le sujet. Mais je ne dormirai pas la nuit. Et très bientôt, vous regretterez de ne pas m’avoir laissée dire ce que je sais être la vérité.
— Cabri. Il est temps pour nous d’aller examiner les chevaux.
Vandien se leva en hâte, inquiet en songeant aux larmes que Saule pourrait verser.
— Je ne veux pas... commença à dire Cabri, visiblement fasciné et troublé par la scène qui se déroulait entre Ki et Saule.
— Il faut s’occuper des chevaux, insista Vandien d’un ton ferme.
Il attrapa le garçon par le col pour le forcer à se relever. Ils s’éloignèrent dans l’obscurité. Ki sourit devant cet usage d’un euphémisme Romni. Aller s’occuper des chevaux signifiait qu’un homme avait besoin d’intimité pour faire ses besoins, ou qu’il avait envie d’être un peu seul. Cabri l’apprendrait sans doute rapidement. En tout cas, Vandien avait visiblement décidé que le garçon méritait qu’on fasse un effort pour lui. Et la laissait avec Saule.
Ki lui décocha un regard de côté. Ses joues étaient toujours brillantes.
— Bon, nous ferions bien de ranger un peu pour la nuit, suggéra Ki d’un ton neutre.
Saule rencontra son regard avec une expression renfermée, mais elle entreprit de rassembler la vaisselle sale. Elle prit soin de ne pas toucher au bol de Cabri. Avec un soupir, Ki le ramassa elle-même.
Le silence pénible perdura tandis qu’elles nettoyaient et rangeaient la vaisselle. Lorsque Saule le rompit, ce fut pour exposer un nouveau dilemme :
— Où suis-je supposée me reposer, ce soir ? demanda-t-elle froidement.
— Où tu voudras, répondit poliment Ki.
Elle refusait de relever le fait que la jeune fille avait évité d’employer le mot « dormir ».
— Où couche Cabri ? voulut-elle savoir ensuite.
Ki soupira.
— Je n’y avais pas réfléchi. Près du feu, j’imagine.
— Alors je dormirai dans le chariot.
— Vandien et moi dormons habituellement dans le chariot, expliqua Ki.
Elle sentait son contrôle d’elle-même lui échapper et se demanda soudain avec colère où diable était Vandien. Qu’il revienne donc pour s’occuper de cette merveilleuse et charmante jeune fille !
— Ça ne me dérange pas, répondit immédiatement Saule.
— As-tu pensé que peut-être cela me dérangeait, moi ? lui demanda Ki en abandonnant toute forme de civilité.
— Non, je n’y ai pas pensé. Vous ne pouvez tout de même pas vous attendre à ce que je dorme près de Cabri, même s’il n’était pas... ce qu’il est. Au sein de mon peuple, cela ne se fait pas, ajouta-t-elle d’un ton guindé.
Ki ferma brièvement les yeux pour maîtriser la colère qui montait en elle.
— Je vois.
Elle soupira, tentant de se débarrasser de son irritation.
— Alors, pourquoi ne dors-tu pas dans le chariot, tandis que Vandien et moi dormirons dehors ? Cela devrait permettre de respecter les convenances.
— Près de Cabri ? Vous allez dormir près de Cabri ?
Le dégoût dans la voix de la jeune fille n’était pas feint. Quelle que fût la raison pour laquelle elle détestait Cabri, ce n’était pas feint.
— Vandien protégera ma vertu, assura Ki d’un ton très sarcastique.
Mais la jeune fille considéra gravement ses paroles. Ses yeux s’agrandirent en rencontrant ceux de Ki.
— Je ne crois pas que même lui puisse vous protéger contre un être comme Cabri. Vous êtes sûre de ne pas vouloir dormir dans le chariot, vous aussi ?
— Tout à fait sûre, l’assura Ki.
Les yeux de Saule se tournèrent vers un mouvement dans les feuillages qui indiquait le retour de Vandien et Cabri.
— Je vais au lit. Bonne nuit. Et faites bien attention !
Elle avait murmuré ces mots avant de se retourner et de s’enfuir se mettre à l’abri dans le chariot.
Lorsque Cabri et Vandien apparurent, ils avaient les bras chargés de branches mortes destinées à alimenter le feu. Ki hocha la tête d’un air approbateur. La nuit était déjà fraîche, loin de la chaleur accablante du jour.
— Où est Saule ? voulut savoir Cabri.
— Partie se coucher, lui répondit Ki. Comme nous devrions tous le faire, si nous voulons partir tôt demain matin.
— Où ? répéta le garçon.
— Où quoi ? demanda-t-elle, feignant de ne pas comprendre.
— Où dort Saule ? interrogea Cabri.
Vandien grimaça devant l’intérêt évident du garçon.
— Dans le chariot, répondit Ki d’une voix neutre. Là où les insectes nocturnes ne la dérangeront pas.
— Nous allons tous dormir dans le chariot ? demanda avidement Cabri.
Sans attendre la réponse, il se dirigea vers les marches.
— Non, nous serions bien trop à l’étroit et ce serait étouffant. Ki et moi dormirons sous le chariot et tu pourras dormir près du feu.
— Mais... commença Cabri avant de croiser le regard de Vandien.
Ki ignorait ce qu’il avait dit au garçon mais celui-ci se tut brusquement. Il contrôlait ses paroles, mais pas l’expression maussade de son visage. Se saisissant d’une partie des courtepointes et des couvertures, il entreprit de se constituer un lit près des flammes.
Vandien refusa de remarquer son attitude.
— Bonne nuit, Cabri ! lança-t-il au garçon d’un ton affable.
Il rassembla les édredons et coussins restants pour préparer leur couchage sous le chariot, tandis que Ki se lavait tardivement le visage et peignait sa chevelure emmêlée. Vandien était déjà installé lorsqu’elle vint le rejoindre.
— Pourquoi sous le chariot plutôt qu’auprès du feu ? lui demanda-t-elle en se glissant à ses côtés.
Elle connaissait la réponse, et il le savait, mais il répondit néanmoins. Sa voix était fatiguée.
— Donne l’impression d’être à l’abri... protège de la pluie. Et ça nous rend plus difficile à attaquer pendant qu’on dort.
— C’est comme dormir dans un cercueil, maugréa Ki.
Elle retira ses bottes, son chemisier et ses pantalons jusqu’à ne plus porter qu’une culotte de coton et une sous-chemise. Tremblante, elle s’enfonça dans les édredons et se pressa contre Vandien. Il était chaud. Elle enroula son corps autour du sien, son ventre pressé contre le dos de Vandien. Elle sentit l’odeur de ses cheveux et la peau chaude de son cou.
— Ces enfants, dit-il à voix basse, me donnent l’impression d’être vieux.
— À moi aussi, acquiesça Ki.
Elle embrassa sa nuque, pour voir. Il soupira.
— Très vieux. Ki, tu m’as entendu tout à l’heure ? A dicter, réprimander, donner des ordres, lancer des avertissements. Exactement comme mon oncle quand j’étais enfant.
— Ton tuteur ? demanda-t-elle.
De la pointe de son doigt, elle écrivit son nom sur la peau chaude de son dos.
— Oui. Il me donnait toujours des instructions, ne me laissait jamais rien faire par moi-même. Pas même pour choisir avec quelles femmes je partagerais ma couche.
La voix de Vandien s’était transformée en un murmure tandis que son esprit revisitait cette époque pénible, ses efforts futiles pour enfanter un héritier pour sa lignée. Il s’écarta légèrement de Ki. Connaissant cette vieille douleur, elle le laissa faire. Il n’aurait pas envie qu’on le touche, à présent. Dommage. Bon, c’était ainsi. Elle ferma les yeux pour chercher le sommeil.
— Je détesterais l’idée d’avoir grandi pour devenir comme lui, dit soudain Vandien. Ki, tu as entendu ce qu’a dit Saule tout à l’heure ? Qu’elle ne pensait pas que quelqu’un d’aussi vieux que moi pourrait comprendre pourquoi elle s’enfuyait pour retrouver son amoureux ? Ai-je l’air si vieux que ça, à tes yeux ? Assez vieux pour être son père ?
— Ça dépend à quel âge tu as commencé, répondit Ki d’une voix ensommeillée. Désolée, reprit-elle. Pas à mes yeux, Vandien. Seulement aux yeux de quelqu’un d’aussi jeune que Saule.
Il roula sur le dos et fixa le fond du chariot au-dessus de leur tête.
— Quel âge me donnes-tu, toi ? demanda-t-il à voix basse.
La fatigue accumulée dans la journée s’était soudain abattue sur Ki.
— Je ne sais pas, soupira-t-elle.
Elle entrouvrit les yeux et le fixa. Il était sérieux. Quelques débuts de rides aux coins de ses lèvres. Un peu de gris dans les boucles sombres, la plupart du fait d’anciennes cicatrices. Une peau tannée, plus par le vent et le soleil que par les effets de l’âge. Elle songea, comme la première fois qu’elle l’avait vu, que cette apparence était loin d’être déplaisante pour un homme. Mais elle préférerait mourir que de lui avouer cela.
— Assez vieux pour être plus malin que ce que tes actes laissent penser la plupart du temps. Assez jeune pour t’inquiéter de choses sans importance.
— Hum. (Il se tourna pour lui faire face, tirant les couvertures qui la recouvraient.) Ce n’est pas une réponse très satisfaisante.
Elle tira à son tour sur les couvertures et ouvrit les yeux. Le visage de Vandien était à quelques centimètres du sien, sa main posée sur la courbe de sa taille.
— Pas satisfaisante ?
Il secoua la tête, la courbe de son sourire sous sa moustache à peine visible dans la lumière déclinante du feu.
— Alors laisse-moi la reformuler.
Elle agrippa les boucles à la base de son cou et pressa ses lèvres contre les siennes.